Les Autoroutes de l'Information:
vers la Société de l'Information.

Publié le 24/04/1996 - Mis à jour le 24/04/1996 par

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En 1928, Jean Gabin déclarait : Le cinéma parlant n'a pas d'avenir, je resterai un acteur de music-hall. Quatre ans plus tard, le Moulin-Rouge où il se produisait avec Mistinguett était transformé en cinéma parlant.

Au début des années 80, la convergence des technologies de l'Informatique et des Télécommunications a produit les grands réseaux publics d'ordinateurs comme Transpac avec le Minitel en France. Avec la diffusion numérique des sons depuis le Compact disc, des images grâce au CD-ROM et bientôt de la télévision, une nouvelle convergence avec les techniques l'audiovisuel est en cours : c'est le multimédia et ses énormes volumes d'informations numériques. La métaphore des « Autoroutes de l'Information » , forgée par Al Gore vice-président des États-Unis, assimile la circulation de ces informations numériques à celles des voitures sur des voies de circulation de grande capacité. La mobilisation des pouvoirs publics occidentaux, en particulier la réunion à Bruxelles des Sept pays les plus industrialisés (G7) tenue en Février 1995 et la curiosité effrénée des médias annoncent-ils une véritable révolution de société ou une mode médiatico-politique? Bien que ne correspondant à aucune découverte scientifique majeure, cette révolution était attendue depuis longtemps et il convient d'en mesurer les enjeux et d'en apprécier les défis qu'elle pose aux entreprises et aux individus.

Une révolution annoncée

Depuis longtemps, on en rêvait. L'augmentation régulière de la puissance des microprocesseurs, les progrès des développements du logiciel avec les techniques graphiques et orientées objets, la numérisation du son puis des images et les techniques de compression des signaux, le déploiement des réseaux accéléré par les fibres optiques et les satellites dessinaient les contours d'un nouveau paysage : la Société de l'Information. Cette société sera construite autour de voies électroniques ou réseaux chargés d'acheminer dans les maisons, les entreprise, les universités, les administrations, les écoles ou les hôpitaux une palette de nouveaux services interactifs : messagerie, visiophonie, télé-enseignement, consultation de banques de données, télé-achat, télévision à la demande, médecine assistée à distance... bouleversant de manière radicale la vie des gens et des entreprises.

Quelle que soit l'ampleur de cette mutation, elle n'est pourtant que l'aboutissement logique et prévisible de deux tendances lourdes de cette fin du XXème siècle : la numérisation de l'information et la dématérialisation de l'activité économique.

Du point de vue technique, les autoroutes de l'Information constituent plus une évolution continue qu'une révolution. A la base, il s'agit tout simplement d'ordinateurs en réseaux, reliés par des lignes de télécommunication à haut débit, qui échangent des données sous forme numérique. La raison de cette formidable mutation technologique est l'accroissement spectaculaire des capacités et des performances de ces systèmes : depuis 30 ans, à prix constant, la puissance et les débits doublent tous les 18 mois. Cette progression logarithmique qui n'a pas d'équivalent dans d'autres domaines, devrait se poursuivre pendant encore au moins 10 ans.

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Le micro-ordinateur et le CD-ROM symbolisent cette évolution : avec cet équipement, on peut dès aujourd'hui se connecter à de multiples services d'information en ligne dispersés dans le monde, consulter les bases de données et de connaissance, se procurer les informations de son choix, rédiger de nouveaux documents, les diffuser sans obstacle de distance ou de temps.

En fait, si révolution il y a, elle est ailleurs. L'accroissement des performances des ordinateurs permet maintenant de transformer sous une forme numérique unique, c'est à dire une suite de 0 et de 1, tout signal écrit, sonore, visuel ou autre que le cerveau humain est en mesure d'assimiler. D'un seul coup, les différences de manipulation et de distribution entre les supports traditionnels disparaissent : papier, film photographique, ondes radiophoniques, cassettes audio ou bandes vidéo peuvent désormais être numérisés, traités de manière interactive et transmis simultanément sur un même support dit Multimédia. L'émergence des autoroutes est le prolongement naturel d'une diffusion large et rapide de ces technologies multimédia. Il y a environ 200 millions de micro-ordinateurs dans le monde. Selon les estimations, environ 40 à 50 millions sont déjà reliés à 2 millions de services en ligne par le réseau mondial de réseaux Internet. En 1995, Microsoft a vendu cinq fois plus d'encyclopédies sur CD-ROM qu'il ne s'était vendu auparavant d'exemplaires de la plus populaire des encyclopédies papier. Certains prédisent qu'en l'an 2000, on dépassera le milliard d'ordinateurs connectés. Quelles seront alors les conséquences d'une meilleure exploitation des énormes gisements d'information et de savoir accumulés dans le monde dans cet espace tout électronique, ce « cyberspace »?

L'âge de l'Information

La montée en puissance du concept des autoroutes de l'information correspond aussi à l'avènement de « l'âge de l'Information ». Depuis 1991, les entreprises investissent plus en informatique et télécommunications que dans les produits agricoles, les matières premières ou les machines-outils. De surcroît, depuis plusieurs années, la part du logiciel et des services est supérieure à celle du matériel dans les dépenses informatiques. En même temps, l'offre de produits ou de services de communication explose : télécopie, téléphone mobile, radio messagerie, Minitel, Internet. Il s'envoie déjà quatre fois plus de télécopies dans le monde que de courrier postal et la messagerie électronique est devenue le moyen de communication privilégié des entreprises. Désormais, dans tous les secteurs d'activité, les informations, les images, les symboles, les concepts, les services génèrent une part prépondérante de la valeur ajoutée. Cette économie de l'Information repose sur plusieurs principes : l'Information comme énergie du futur, la circulation rapide des images et des sons comme fondement de la civilisation des loisirs, l'instantanéité de la satisfaction des désirs comme mode de consommation, la disparition des distances et des frontières géographiques comme mode d'organisation.

Comme on pouvait s'y attendre, la vraie question n'est pas tant de savoir si la technologie sera à l'heure au rendez-vous, mais de se demander si les comportements changeront suffisamment vite pour tirer profit des possibilités offertes. La durée nécessaire aux individus et aux entreprises pour assimiler la technologie et se l'approprier comme une chose familière ne se réduit que très lentement. C'est ce qui donne la véritable mesure des enjeux de cette révolution, enjeux qui sont autant de défis pour les acteurs économiques.

Les enjeux

Pour ses plus fervents partisans, la création des autoroutes de l'information est une opportunité économique sans précédent. Les débouchés de la convergence entre l'informatique, les télécommunications et l'audiovisuel sont tels qu'ils devraient faire de ce secteur le premier secteur économique mondial avant la fin de ce siècle. D'environ 10 000 milliard de francs aujourd'hui si on ajoute les médias, ce marché devrait doubler de taille dans les dix prochaines années. On comprend que de telles perspectives aiguisent les appétits et les enthousiasmes.

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Figure 2

Ce gigantesque marché des réseaux du futur va être l'occasion d'une grande bataille industrielle entre les différents intervenants. Les opérateurs de télécommunications, fort des ressources financières que leur procurent leurs positions dominantes sur leurs marchés nationaux, essayent de perpétuer un passé révolu. Les câblo-opérateurs en charge des réseaux locaux qui offrent des capacités de transmissions à hauts débits idéales pour les applications multimédia font irruption dans ce paysage et souhaitent par la même occasion prendre une part du trafic téléphonique. Les fabricants d'ordinateurs, les éditeurs de logiciels et les sociétés de services qui collaborent très étroitement pour développer les nouveaux systèmes d'information multimédia, veulent avoir voix au chapitre.

Mais au delà de la bataille pour les infrastructures et les systèmes, se préparent les empires des contenus. Qu'il s'agisse d'exploiter des bibliothèques existantes ou de la conception et du développement de nouveaux programmes et services ou de leur intégration dans les systèmes d'information existants, les producteurs, les éditeurs de logiciels et les sociétés de services sont bien placés pour y jouer un rôle-clé. L'importance des sommes en jeu, la rareté des compétences et la complexité des projets interdisent à quiconque de prétendre s'y faire une place tout seul. Il n'est que de voir l'explosion des accords, alliances et rapprochements de ces derniers mois - dont certains se sont défaits aussi vite qu'ils s'étaient noués - entre acteurs qui s'ignoraient autrefois, pour s'en convaincre.

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Des enjeux culturels et sociaux essentiels

Les nouvelles technologies de l'information représentent aussi un bouleversement culturel des modes d'éducation et de communication dont les héritiers sont les enfants d'aujourd'hui. Accéder à des informations par l'intermédiaire d'un écran et d'un clavier est pour la jeune génération - la génération Nitendo - une deuxième nature alors que cette manipulation semble souvent difficile aux adultes. En matière d'éducation, les élèves utilisent de plus en plus souvent l'ordinateur comme un véritable assistant pédagogique qui leur permettra de cultiver leurs connaissances à leur propre rythme dans toutes les disciplines.

Avec le multimédia se prépare la remise en cause de la communication écrite telle que nous la concevons depuis Gutenberg. Le terme n'est pas si loin où les lecteurs devront apprendre à naviguer dans un monde d'images et de textes, le simple « clic » sur un mot ou une image permettant un accès quasi instantané à n'importe laquelle des informations stockées dans l'un des ordinateurs de la Planète. Naturellement, les question relatives à l'usage de la langue et aux risques de banalisation culturelle suscitent de nombreuses inquiétudes.

Enfin, le développement des réseaux du futur va changer le fonctionnement même de la société, modifiant par exemple l'organisation du travail, l'accès des citoyens aux services de santé ou d'éducation, les relations administration/administré, voire les conditions d'exercice de la démocratie. Pour toutes ces raisons, le pouvoir politique doit, en plus de son rôle réglementaire, préparer les opinions publiques à l'avènement de ce nouveau cadre de vie. La forte mobilisation médiatico-politique trouve là sa justification.

Un défi pour les entreprises

Pour les entreprises, en particulier en France, la connexion aux réseaux est une réalité ancienne : dès la fin des années 70, le réseau national de commutation par paquets TRANSPAC fournissait une interconnexion entre des milliers d'ordinateurs. C'est ce réseau, associé à des points d'accès pour les terminaux Minitel, distribués par France Telecom dans le cadre du programme de lrannuaire électronique, qui a permis le développement de la Télématique Française. Aujourd'hui, 25000 services sont disponibles : de la réservation de place à la SNCF à la consultation de comptes et aux transactions bancaires en passant par la vente par correspondance ou à la consultation des résultats des examens et concours, l'ensemble de l'activité économique est plus ou moins couverte par cette réalité.

En 1995, le chiffre d'affaires représenté par les accès à ces services est de l'ordre de 11 milliards de francs dont environ un tiers pour les télécommunications. Plus de 6 millions de Minitels soit 12 millions d'utilisateurs formés constituent un succès à l'échelle de la France.

Mais, depuis 15 ans, le Minitel na pratiquement pas évolué. Son utilisation est limitée à des transactions courtes par un mode de facturation à la durée dissuasif. Ses performances, son ergonomie et ses normes limitées à la France sont des handicaps insurmontables face à l'attrait du multimédia et du réseau Internet qui permet de développer à une échelle mondiale des activités nouvelles.

Le commerce électronique

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Grâce aux autoroutes de l'information, les entreprises peuvent innover : être en relation directe avec les consommateurs et ce sans contrainte de temps ni de lieu; personnaliser les relations avec une clientèle devenue de plus en plus exigeante sur la qualité des produits et des services; réduire les coûts de gestion en diminuant les volumes de papier qui ralentissent les fonctionnements. Pour bénéficier de telles applications, les entreprises sont confrontées à une exigence : l'adaptation rapide et simultanée de leur stratégie, de leurs structures, de leurs processus d'action et de décision et de leurs systèmes d'information.

En fait les interrogations tiennent plutôt aux processus de maturation des marchés, à l'accueil que les individus comme les entreprises réserveront aux nouveaux produits et services qui leur seront ainsi offerts. En ce sens, les expérimentations qui ont été lancées un peu partout par le secteur privé ou les pouvoirs publics dans des domaines aussi divers que les services en ligne, la télé-médecine, l'éducation, le télé-achat,... sont fondamentales. Elles vont permettre de favoriser l'émergence de nouveaux usages. Elles seront un moyen précieux pour calibrer la portée des bénéfices que l'on est en droit d'attendre de ces services du futur.

Il reste à convaincre les consommateurs que ces nouvelles technologies les aideront à obtenir une meilleure qualité de la vie, et non l'inverse, qu'ils deviendront les maîtres de la technique et non ses esclaves. En outre, pour gagner la confiance du Public, ces autoroutes de l'information devront garantir la sécurité des informations et des transactions. Ces dispositifs de protection devront naturellement être proportionnels à la sensibilité des données transportées et à la valeur des transactions envisagées.

Dès lors, une des principales clés du succès réside dans la capacité des acteurs concernés -exploitants, éditeurs de programme, fournisseurs de services, industriels- de mettre en place une structure d'intermédiation qui offre des services leur garantissant l'authentification des intervenants, la souplesse et la simplicité des procédures de transaction, de promotion, de libre concurrence et protection des patrimoines. Au cours des autoroutes de l'information, ces mécanismes seront la véritable « intelligence », et donc le levier principal de développement des réseaux du futur.

Vers une société de l'Information

L'histoire enseigne que le progrès se propage par vagues. Il est donc raisonnable d'affirmer que la société du XXIème siècle sera façonnée par les technologies de l'Information. Pour autant, le développement des autoroutes de l'Information ne peut laisser sans interrogations : à quelle échéance et à quel rythme vont-elles être construites ?

Dans ce domaine, les facteurs d'incertitude ne manquent pas : la vitesse du progrès technique, l'ampleur du processus de déréglementation des télécommunications, l'acceptation de standards mondiaux, la réaction des consommateurs. Si les incertitudes techniques sont les mieux maîtrisées la principale inconnue tient à la faculté d'adaptation des organisations humaines aux innovations technologiques. L'exemple de Jean Gabin et de bien d'autres nous apprend que, souvent, l'homme de l'art n'est pas le mieux placé pour y répondre.

Paris, le 24 Avril 1996

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